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Les fausses nouvelles ont la vie dure


Pierre Guinand

«Fauses nouvelles», le terme est un peu agressif…

Suite du JPhS 4| 2024

L’emploi des lingots appartient évidemment au passé des imprimeurs. Un passé pas tellement lointain, d’ailleurs, parce que nous avons trouvé, dans une imprimerie de Morges qui modernisait son équipement voici quelques années, une dizaine de lingots dont nous vous présentons ici trois exemplaires (fig. 9). On y aperçoit des lignes semblables à celles qui apparaissent sur les bords colorés de nos types Chiffre & Croix. Mais sur la fig. 1, nous avons représenté les quatre lingots comme s’il s’agissait de blocs lisses, de manière à ce que les petits défauts et les repères de perforation soient apparents. C’est le couple de timbres présenté à la fig. 10 qui a été le point de départ des recherches qui ont abouti au schéma des deux feuilles de 100 clichés et des quatre lingots qui les encadrent. On l’a vu, ces lingots sont caractérisés par des lignes sur leur surface, et ces lignes apparaissent clairement sur les bords des feuilles lorsque l’encrage n’est pas trop abondant. La zone encadrée montre des caractéristiques de ces lignes qui sont les mêmes sur les deux timbres, démontrant par là qu’il ne peut s’agir que de deux exemplaires voisins. La photographie laisse apparaître une ligne grise, qui est en fait une partie du filigrane en forme de grande croix qui divise en quatre panneaux la feuille de papier. Cette ligne est très apparente sur le bord gauche du timbre de 5 c., un peu moins sur le bord droit du 10 c. Ces tim­bres occupent les cases 40 et 131 de l’assemblage de 200 clichés. Quant au timbre de 15 c., il occupe la case 70. La fig. 11, une photo prise par transparence, montre, tout en bas de la trace du lingot, l’un des 12 points du filigrane qui entourent chacun des deux assemblages de 100 clichés. Quant à la grande croix du filigrane, elle n’est visible que sous la forme d’une trace minuscule, tout en haut à droite, car elle a été emportée par le massicot. En plus de quelques points minuscules et d’autres irrégularités, le lingot de gauche présente une brèche bien apparente, à gauche de la case 91 et un point blanc – qui n’est pas un repère de perforation – à gauche de la case 101. C’est par l’observation de ces petits défauts, des lignes et des points du filigrane, et des particularités des lignes des lingots que nous avons enfin pu reconstituer le «puzzle», c’est-à-dire l’aspect de l’assemblage de 200 clichés avec ses bords colorés, tel qu’il est présenté à la fig. 1. Afin de ne pas surcharger le dessin, nous avons limité le nombre des flèches qui désignent ces petites imperfections, mais il y en a encore d’autres, qui permettent d’identifier chacune des 40 cases occupées par les timbres ayant un bord coloré.

Fig. 9: Ces lingots sont semblables à ceux qui ont été employés pour les types Chiffre & Croix.
Fig. 10: Les timbres des cases 40 et 131 sont voisins.
Fig. 11: Un point du filigrane est visible, tout en bas du bord coloré. Ce timbre occupe la case 70.
Fig. 12: Avant l’emploi des lingots, les repères de perforation se présentaient sous la forme de rectangles aux petits côtés arrondis, et qui avaient un point vide bien visible en leur milieu.
Fig. 13: Après l’abandon des lingots, les repères de perforation sont presque semblables à ceux de la période précédente.


Rares exemplaires oblitérés 
Ces timbres à bord coloré sont rares, les cotes élevées du catalogue spécial le montrent clairement. Les exemplaires oblitérés sont plus rares encore que les neufs. Or, dans la période suivante, les timbres situés dans les bords latéraux des feuilles montrent de nouveau des empâtements! Mais alors, pourquoi donc avoir abandonné si tôt un système qui donnait d’aussi bons résultats? Nous avons une hypothèse à ce sujet. Mais attention, Pierrot, ne t’avise pas à ton tour d’émettre une affirmation téméraire! Non, non, c’est bien d’une simple hypothèse qu’il s’agit. La voici: Nous l’avons dit, les quatre lingots sont toujours les mêmes et ils ont été placés de façon identique pour les cinq valeurs émises. Dans les empreintes de ces lingots, on aperçoit six petits ronds blancs qui servaient de repères pour la perforation, une opération qui avait lieu à la Monnaie Fédérale. Certains de ces ronds ont été percés lors de cette opération. Mais comme ils sont très petits, donc peu apparents lorsque l’encrage est abondant (ils mesurent à peine 1 millimètre de diamètre), cela ne devait certainement pas faciliter le travail des responsables, et on aurait alors décidé de revenir au système précédent. Effectivement, les tirages suivants se présentent sans lingots, et avec des repères de perforation sous forme de rectangles arrondis, presque semblables à ceux de la période précédente (fig. 12 et 13). Ils sont alors bien visibles sur le fond blanc des bords des feuil­les. Et comme on pouvait s’y attendre, les émissions suivantes montrent de nouveau, assez souvent, des empâtements sur les timbres du bord des feuilles… Cette hypothèse a le mérite d’expliquer la rareté des pièces avec bord coloré puisque le système a été rapidement abandonné. Il restait à en chercher une confirmation, peut-être sous la forme d’une lettre de la Direction Générale des PTT enjoignant à l’imprimeur Stämpfli de cesser l’emploi des lingots pour revenir à des marques beaucoup plus visibles sur les bords des feuilles, afin d’en faciliter le placement correct lors de la perforation. Malheureusement la maison Stämpfli, qui existe encore, n’a plus d’archives de l’époque qui nous intéresse. Lors de notre visite aux archives de La Poste, où nous avons été très aimablement accueilli, nous avons pu examiner de 15 à 20 kilos d’archives (!) des années 1891 à 1893, mais la lettre que nous cherchions n’y figure pas. Elle a peut-être été jugée trop peu
importante pour être conservée, ou alors elle n’a tout simplement pas existé… Les imprimeurs de nos timbres recevaient de temps en temps la visite d’un employé de la Direction Générale des PTT, et il est possible aussi que des instructions pour abandonner l’emploi des lingots aient été données oralement.